Vous êtes en train de faire la vaisselle, alors que vous, ou un de vos enfants, casse une assiette par maladresse : que faites-vous ? 
Vous le jetez ? Quel dommage ! D’autant plus que vous y teniez à cette assiette. Elle appartenait au service de votre grand-mère, ou bien c’était un souvenir de voyage, ou vous la trouviez tout simplement jolie. Saviez-vous qu’il y a d’autres solutions que de la mettre à la poubelle ? Mieux encore, vous pouvez tout simplement la réparer et la réutiliser ! Ca évitera de vous racheter une assiette et ça réduira un peu le nombre de déchets que vous produisez. Mais voilà, l’assiette perdrait de son charme même après être réparée. Si vous pensez cela, c’est que vous ne connaissez pas le Kintsugi !

Histoire de la réparation d’objets devenue art


Kintsugi bol bizen

© tsugi.de

Il y a une personne qui, comme vous, avait été confronté au même problème. Cette personne n’était autre que le Shôgun Ashikaga Yoshimasa ! En tant que mécène et esthète au goût incontesté, Ashikaga Yoshimasa et toute sa famille avaient largement contribué au développement artistique du japon lors de leur règne. Ayant cassé un bol à thé commandé spécialement de Chine, le Shogun renvoya son bol aux potiers pour le faire réparer. Il se retrouva alors avec son bol, chichement recollé avec des agrafes métalliques. Dépité face à son bol à thé complétement défiguré, il chercha avec des artisans un moyen de réparer l’objet de façon plus esthétique. C’est à cette occasion que, grâce à une résine de laque mêlée de poudre d’or, les artisans sous les ordres d’Ashikaga Yoshimasa développèrent une nouvelle technique de réparation. Non seulement la céramique est de nouveau utilisable, mais les fissures sont mises en avant et sublimées par le métal précieux !

Métamorphoser un objet en œuvre d’art


Kintsugi tasse bleue

© tsugi.de

Des artisans spécialisés pratiquent donc ce savoir-faire, et colmatent aussi bien les fissures avec de l’or (Kintsugi/金継ぎ) qu’avec de l’argent (Gintsugi/銀継ぎ) ou de la laque (Urushitsugi/漆継ぎ). On va même jusqu’à intégrer le tesson d’une autre céramique, semblable à une « prothèse ». On parle dans ce cas de technique Yobitsugi (呼継ぎ). L’objet cassé, généralement en céramique, se reconstitute ainsi avec ses morceaux collés qui forment un arabesque doré. Le caractère aléatoire du motif dessiné par les fissures offrent un certain cachet et un caractère unique à l’objet.

Les Japonais voyaient donc l’objet cassé non pas comme un déchet, mais comme un être vivant en phase d’aborder un nouveau cycle. La valeur marchande des vaisselles réparées au Kintsugi monte drastiquement. Car l’objet en question prend une valeur à la fois artistique et historique. Le Kintsugi fait partie, avec la patine et les craquelures d’émail, de ces traces du temps qu’affectionnent tant les esthètes japonais.

Un artisanat au service d’une consommation durable et respectueuse


Kintsugi verre

© tsugi.de

Il faut savoir que le rapport qu’entretenaient les Japonais avec leurs objets artisanaux n’est pas le même que ce que les consommateurs ont actuellement avec un produit lambda. Ces objets de bonne qualité, qui leur ont servis pendant des années, ont gagné une valeur sentimentale. Ils allaient jusqu’à leur donner un caractère presque humain. Ce n’est pas pour rien que j’ai employé le mot « défiguré » pour parler du bol à thé grossièrement réparé d’Ashikaga Yoshimasa. Car je pense que c’est réellement là le sentiment qu’il a dû avoir à ce moment-là. Les Japonais désignent par exemple le côté face d’un bol par le terme Kao (顔), ou « visage ». On retrouve cette appellation dans beaucoup d’objets artisanaux, notamment pour les ustensiles de la cérémonie du thé.
Il était donc tout à fait naturel pour les Japonais de chercher un moyen d’utiliser plus longtemps leur objet favori, et de lui refaire une beauté. Avec le Kintsugi, on respecte donc réellement les objets que l’on utilise dans notre quotidien. Mais cet artisanat est aussi respectueux envers l’environnement. Puisqu’il limite la production de déchets et n’utilise que des matériaux naturels et non-polluants.

Qu’attendons-nous ? Plutôt que de jeter des vaisselles et autres objets réparables, pourquoi ne pas plutôt s’essayer à cette technique pour s’entourer de véritables œuvres d’art, utiles et uniques ? Comme quoi, nous avons encore beaucoup à apprendre de l’artisanat japonais !

© artisanatjaponais.com / Écrit par Lucas, en direct du Japon.


SOURCES EXTERNES :