Récemment devenu à la mode dans le monde culinaire, ce fameux « cinquième goût » fut l’objet de nombreux articles aussi bien sur la toile que dans les journaux. « Pourquoi s’attarder là-dessus si pleins de gens l’ont déjà fait ? », me direz-vous. Et bien je vous répondrai « pourquoi pas ? ». Après tout, vous êtes déjà là, les yeux sur cet article. Vous avez le temps, un petit thé (d’ailleurs chargé de ce fameux umami) vous accompagne éventuellement.

Yame
yame

Alors si vous êtes curieux à propos de ce mot mystérieux, autant prendre le temps d’en parler, non ? Vu qu’on a employé ce terme lors de notre article sur le thé de Yame, il nous semblait opportun d’en parler plus précisément. Comme ce n’est pas le genre de mot qu’on peut expliquer brièvement dans une note de bas de page, on a décidé de lui dédier un article entier. Et puis honnêtement, comme je suis aussi intéressé par l’art culinaire du Japon que je le suis à propos de son artisanat traditionnel, j’avais de toute façon envie de vous présenter ce terme sous mon point de vue de Français habitant au Japon.

Donc c’est parti ! Parlons déjà du mot. Tout vient de la difficulté à le traduire. Parmi toutes les langues du monde, il y a toujours des mots qui existent dans l’une mais non pas dans l’autre. Il y a des idées, des sensations, des émotions, plein de choses qu’une culture donnée décrit par un mot qu’on n’a pas nous même inventé. Du coup, comment traduire un tel mot ?

Notre langue n’ayant parfois pas de mot avec un sens proche, pouvant remplacer le terme étranger, on n’a plus qu’à expliquer. D’où la nécessité de cet article. Quand je demande à des Japonais francophones ce que veut dire « Umami », on me dit souvent « goût délicieux ». D’accord, mais… ça n’a aucun sens ! « Délicieux » n’est pas un goût en soi dans la langue française. On n’a pas le sucré, le salé, l’amer, l’acide… et le délicieux !

pizza

Une pomme, une pizza, un citron, un café, tous sont des aliments qui peuvent être « délicieux », mais ont pourtant un goût complètement différent les uns des autres. Mais alors qu’est-ce que l’Umami ?

Au Japon, il y a deux mots pour dire qu’un aliment ou un plat est bon : « Oishii » et « Umai ». Les Japonais utilisent les deux sans trop de distinctions. Je les entends aussi bien s’exclamer d’un « Umai ! » sonore quand ils descendent une bière bien fraîche après le boulot. Quand ils engloutissent en slurpant goulument les nouilles imbibées du bouillon d’un ramen bien chaud. Quand ils laissent fondre un sashimi de poisson frais contre leur palais tout en fermant les yeux pour mieux savourer. Au cas où vous vous demandiez, oui, on se rapproche de midi au moment où j’écris cet article et j’ai faim ! Alors autant que vous ayez faim avec moi !

yakitori

Mais personnellement, je dirais que la différence et la nuance entre Oishii et Umai est la suivante. Là où Oishii s’utilise pour dire que quelque chose est bon, en opposition à mauvais, Umai s’utilise lui pour dire que c’est savoureux, en opposition à fade. En effet, l’Umami est intimement lié à la notion de saveur. Plus d’une fois j’ai entendu ce terme lorsque, demandant conseil en matière de cuisine à des amis japonais, ces derniers me disaient par exemple : « Si tu laisses macérer dans la sauce, sa saveur va s’imprégner dans la viande» (旨味が染み込む/Umami ga shimikomu) ou « si tu le laisse faisander un peu, ça fera ressortir son goût » (旨味が出る/ Umami ga deru).

Donc à mon sens, même si des spécialistes de la langue japonaise voudront peut-être me contredire, « Umai » voudrait simplement dire « savoureux ». Du coup, vous allez me dire : oui, mais entre « goût délicieux » et « goût savoureux », on n’est pas plus avancé ! Et vous avez raison.

yakitori

Alors pour mieux comprendre : l’Umami, c’est quoi, scientifiquement parlant ? La première recherche qui a été faite sur l’Umami vient de Kikunae Ikeda, en 1908, qui identifia ce goût dans l’algue Kombu, et plus précisément le glutamate. L’Umami serait à vrai dire présent dans trois acides aminés : glutamique, guanylique et inosinique. Trois acides présents respectivement dans l’algue Kombu, le champignon Shiitake séché et les copeaux de bonite (cousine du thon) séchées. Or, tous ces ingrédients composent le Dashi, fond de bouillon japonais que l’on retrouve par exemple dans la soupe miso, mais aussi dans d’innombrables plats japonais. Disons donc que si vous voulez savoir ce qu’est l’Umami tel qu’on le fait au Japon, goûtez le Dashi pour vous faire une idée.

Mais attention ! L’Umami n’est pas quelque chose de purement Japonais, loin de là ! D’ailleurs, si ça se trouve, vous êtes peut-être en train de déguster de l’Umami en ce moment même où vous lisez mon article. Si l’on se réfère au tableau ci-dessous proposé par le Nihon Umami Chômiryô Kyôkai (日本うま味調味料協会, littéralement « Association des condiments japonais Umami »), l’Umami serait présent dans les aliments riches en acides aminés suivants.

Dans la catégorie des acides glutamiques (en rose) : les algues Kombu, le parmesan, les tomates, les asperges, le choux blanc, les brocolis et le thé vert. Dans la catégorie des acides guanyliques (en vert): les champignons Shiitake séchés. Dans la catégorie des acides inosiniques (en jaune) : les copeaux de bonites séchées, la carpe, le maquereau, les viandes de manière générale, les sardines. On retrouve aussi l’Umami dans nombre d’aliments vieillis, fumés ou fermentés. Certains fromage donc, et la charcuterie, denrées alimentaires pourtant occidentales sont chargés de ce « cinquième goût » sur lequel nous n’avons posé aucun mots.

shiitake
shiitake

Selon les mots d’Alexandre Bourdas, Chef du restaurant SaQuaNa à Honfleur, l’Umami serait « plus qu’un goût, c’est une sensation qui se passe au milieu de la langue, au-dessus du palais, quelque chose de très appétant, très rond et gourmand, légèrement salin, qui donne envie d’y revenir». Donc en fait, on pourrait presque traduire l’Umami par « un goût de reviens-y » ! Vous avez déjà eu cette sensation d’avidité vorace ? Je ne parle pas du fait de manger sans s’arrêter parce que vous avez faim et que devez-vous nourrir, ni de l’effet addictif d’une nourriture riche en sucre ou en graisse comme les chips et autre malbouffe. Mais plutôt de cet aliment dont la première bouchée invite à la deuxième, puis à la troisième, etc… Un bon saucisson par exemple.

Même quand vous n’avez plus faim, par gourmandise, vous vous laissez tenter encore et encore. C’est ça, l’effet Umami ! Voilà ! Maintenant soyez prévenus, vous retrouverez certainement le mot Umami dans nos prochains articles. Car qui dit artisanat, dit vaisselle et ustensiles, qui dit cuisine, qui dit gastronomie ! A la prochaine pour de nouveaux articles !